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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Cocagne, les jardins qui cultivent la solidarité

Ces jardins associatifs aident des personnes éloignées de l’emploi à retrouver une activité grâce au maraîchage agroécologique. Le jardin de Saint-Quentin-en-Yvelines emploie une petite vingtaine de jardiniers en insertion qui produisent des légumes bio pour les vendre à des consommateurs adhérents.

La ferme de Buloyer, à Magny-les-Hameaux (commune de Saint-Quentin-en-Yvelines), ne manque pas d’allure. Les vastes bâtiments en pierre de l’ancienne seigneurie du XVIIe siècle jouxtent un étang bordé d’arbres. Derrière le mur d’enceinte, s’ouvrent les 4 hectares et demi de terre, entièrement cultivés en bio, complétés par les 3000 m² de serre.


Dans un coin du terrain, des ruches sont entretenues par un apiculteur local.

C’est ici que 18 personnes retrouvent le chemin de l’emploi en cultivant des choux, en désherbant les carottes ou en repiquant des plans de salade. Le but premier de cette association d’insertion par l’économique est de faciliter le retour à l’emploi de personnes en situation de grande difficulté (personnes SDF, sortant de prison ou ayant des problèmes d’addiction). Chacun de ces jardiniers en insertion – pas forcément maraîcher dans l’âme – travaille 26 heures par semaine au jardin et dispose d’une journée libre, notamment pour effectuer les démarches de recherche d’emploi.

Un réseau d’insertion par le maraîchage

Le jardin de Saint-Quentin-en-Yvelines est membre du réseau des Jardins de Cocagne, structure qui fédère et accompagne tous ces jardins de solidarité.

L’idée est née dans le Doubs, au début des années 1990, inspirée d’un modèle suisse auquel a été ajouté un volet social. Dans ce monde rural, l’exclusion touche alors les personnes de culture agricole et ce nouveau concept diversifie les activités d’insertion. L’originalité tient dans le fait d’allier le principe de la distribution en circuit court à des clients-adhérents de l’association, l’insertion par le travail pour des personnes en grande précarité, et le cahier des charges de l’agriculture biologique.

Les vertus de la terre

L’initiateur du projet, Jean-Guy Henckel, convaincu des bienfaits de l’activité de maraîchage, a voulu les utiliser pour remettre en marche un public cabossé. “On s’est aperçu assez vite que le travail de la terre avait des vertus particulières, quasi thérapeutiques. Quand ça va mal, c’est très important de pouvoir être confronté au cycle de la nature et des saisons. Ça commence par une graine en début de cycle, cette graine va donner un plan, ce plan va donner un légume. Ce légume va être bichonné, mis en panier. Tout cela est très restructurant physiquement et psychologiquement.

Devant le succès de la formule, d’autres jardins se sont créés dans toute la France, au point que l’association a développé une stratégie d’essaimage, pour devenir, en 1999, un véritable réseau. Cette formule qui fait mouche est néanmoins fragile, comme le souligne Jean-Guy Henckel : “Nous faisons vivre ensemble trois sœurs ennemies : le social, l’économie et l’écologie“. Tout en réalisant leur mission d’insertion, les jardins doivent être rentables, tout en préservant la planète !

12 mois pour se reconstruire

Ces contraintes, le directeur du jardin de Saint-Quentin-en-Yvelines les a bien en tête avec, comme priorité, l’insertion des stagiaires : “Les personnes en insertion ne peuvent rester ici que 12 mois, regrette Alain Gérard, au-delà, elles doivent retrouver une activité en dehors de notre structure. Et 12 mois, c’est court, pour des personnes très éloignées de l’emploi.

Pour Paul, qui a été incarcéré pendant 3 ans et qui porte un bracelet électronique de liberté surveillée, le retour à l’emploi reste compliqué. Après son arrivée au jardin, l’équipe l’a laissé assez libre pendant quelque temps pour qu’il trouve ses marques et s’adapte au lieu. Mais, ensuite, il a dû intégrer le cadre, reprendre l’habitude de se lever le matin, de respecter les consignes… Progressivement, Paul a pu passer des permis de conduire d’engins de chantier, mais son état psychologique, encore fragile, ne lui permettait pas d’affronter le monde du travail. L’équipe du jardin a obtenu un prolongement de 6 mois de son contrat pour le préparer davantage à la vie professionnelle.

Le travail accompli est énorme et donne le plus souvent des résultats très positifs, précise Alain Gérard : “Ici, deux personnes sur trois font une sortie positive. C’est-à-dire, trouvent un CDI, un CDD de plus de six mois ou une formation qualifiante.

Boucler le budget

Le jardin de Cocagne a aussi les contraintes d’une “petite entreprise” qu’il faut faire tourner. Si les salaires des bénéficiaires sont pris en charge par le Conseil Régional (qui fixe la durée d’insertion à 12 mois), l’association doit trouver des revenus pour financer les salaires des permanents de l‘association : encadrants, assistante sociale, chargé administratif et directeur.

La vente des paniers bio y contribue. Ils sont proposés chaque semaine, à la ferme, aux adhérents, moyennant 18 € et un engagement à l’année. Les habitants de Saint-Quentin-en-Yvelines retrouvent aussi ces bons légumes à la Biocoop de la ville, sur le marché bio de Montigny-le-Bretonneux ou encore à la gare de Saint-Rémy-lès-Chevreuse.

LES JARDINS DE COCAGNE EN CHIFFRES
– 130 structures (jardins ou maisons de Cocagne)
– presque 4500 personnes dites “jardinier en insertion”
– 7 à 800 postes dits d’encadrement
– 430 ha de surfaces cultivées en bio
– 60 à 100 légumes différents, 50 semaines par an
– 25 000 paniers sont ainsi remplis chaque semaine.

Diversifier les revenus

Pour compléter le revenu des ventes – insuffisant à l’équilibre du budget –, le jardin organise des journées de découverte et solidarité pour des grandes écoles ou des entreprises. Des salariés de M6 ou de la fondation City Market, par exemple, viennent apprendre à faire la différence entre des “mauvaises herbes » et de jeunes pousses de carottes. Pour certains, c’est loin d’être évident. Alain Gérard se souvient « d’étudiants en HEC qui n’avaient aucune idée de la façon dont pouvait pousser une carotte !“.
Alors que diraient-ils devant des choux Calais, de la Claytone de Cuba (sorte de mâche) ou des champignons shiitake ? Ce sont des variétés anciennes, atypiques, et, il faut bien le dire, un peu à la mode, que cultive aussi le jardin, entre navets, courges, épinards ou roquette… le tout avec des semences bio, pas forcément issues du catalogue officiel.

S’ouvrir sur l’extérieur

Pour répondre à une demande locale, des formations à la permaculture ont vu le jour récemment et ont pu être mises en place grâce à la mairie de Paris qui souhaite aussi développer la permaculture et inciter les grands constructeurs à mettre la culture de proximité dans leurs programmes immobiliers. Des partenariats sont tissés avec les chercheurs de l’INRA et les étudiants d’AgroParisTech pour un programme de recherches sur les pratiques culturales, dans le but d’augmenter les rendements, tout en restant bio.

Le bio et la culture naturelle restent la colonne vertébrale des Jardins de Cocagne. La diversité et la complémentarité des espèces végétales sont directement inspirantes pour les comportements humains. Avec l’alimentation bio, on accepte aussi les légumes cabossés, non formatés, mais bien vivants. Une analogie évidente avec les humains abîmés par la vie, que notre société standardisée a du mal à accepter. Sur ces points, le rôle des jardins de Cocagne est remarquable.

Avec Micheline, le bonheur est dans les champs

J’ai eu 62 ans hier et je suis contente de travailler ici !

C’est comme stagiaire que Micheline est entrée au jardin en 2012. Elle s’était retrouvée un peu seule lorsque ses enfants avaient pris leur envol. Avec de gros crédits à payer, il fallait absolument travailler. À l’approche de la soixantaine, sans véritable formation, sans savoir lire ni écrire, c’était quasiment sans espoir. Jusqu’au jour où son assistante sociale lui a proposé de travailler au jardin de la ferme de Buloyer. “J’ai dit oui tout de suite. J’ai fait un essai d’un mois, puis ils m’ont fait signer pour 6 mois, et au final j’ai enchainé 3 contrats de 6 mois.

Micheline apprend vite, elle connaissait bien la terre et la nature après avoir enchaîné, pendant plusieurs années, les contrats saisonniers pour les vendanges, les pommes de terre, etc. Mais, à l’issue de sa période d’insertion, une belle surprise l’attendait : “Le directeur m’a demandé si je voulais être encadrante. Là, j’ai d’abord eu un blocage, puis j’ai réalisé que c’était une chance, alors j’ai accepté et maintenant je suis aide-encadrante.” Micheline, qui déborde d’énergie, accompagne désormais les stagiaires, leur montre les gestes du métier et, surtout, ne les laisse pas mollir : “Des jeunes, qui ont parfois à peine 20 ans, ont mal par-ci, mal par-là, ils tirent un peu au flanc, et ça je ne supporte pas. Je ne suis pas méchante avec eux, mais je ne supporte pas de les voir rien faire !“.

Micheline est ravie d’être là, et espère que cela continuera le plus longtemps possible, dans une équipe où elle a vraiment trouvé sa place : “Je considère ces jeunes, ici, un peu comme mes propres enfants. J’essaie de les mettre dans le droit chemin. Il y a parfois des hauts et des bas, mais ça se passe bien. Et ça me plaît.

PLUS D’INFOS
Le réseau Cocagne : www.reseaucocagne.asso.fr

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